FRJP0048
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Publicité trompeuse: Vente à prix coûtant

Prise en compte des ristournes.

« Le 25 octobre 1990, trois agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DCCRF) de la région d'Île-de-France, direction de Paris, dressaient procès-verbal à l'encontre d'A., Président du conseil d'administration de la SA « A. » et de la SA « Les Boutiques d'A. ».
Ils exposaient qu'ils avaient reçu pour instruction de procéder à une enquête sur les modes de facturation des opticiens à l'enseigne « A. », suite à des informations fournies par la SA « Cosmas » selon laquelle les fournisseurs concédaient à la SA A. des remises qui n'étaient pas intégralement prises en compte dans le calcul du prix des montures de lunettes présentées comme revendues à prix coûtant par les franchisés de cette marque...
Sur l'action publique:
Considérant qu'il résulte de l'enquête effectuée par les agents verbalisateurs auprès de trois des fournisseurs de montures de lunettes agréés (ou référencés) par la SA « A. » en 1988, à savoir les Sociétés L., O. et B., que celles-ci font des remises sur facture ou des remises de fin d'année à leurs clients, notamment lorsque ceux-ci sont regroupés dans une centrale d'achat, excepté aux opticiens A. pour lesquels un système différent a été mis en place ; qu'en effet, ces fournisseurs adressent à chaque franchisé A., selon ses commandes, des factures ne comportant aucune remise et font parvenir à la SA A., mensuellement, le relevé de tous les achats effectués par les membres du groupement ; que le franchiseur les règle directement, également mensuellement, au moyen d'une centrale de paiements ; que cette centrale adresse ensuite aux fournisseurs des factures incluant des commissions, variant de 10 à 25 %, qui sont calculées par application au montant total des achats mensuels effectués par l'ensemble des franchisés du taux convenu verbalement envers le franchiseur et chaque fournisseur ;
Considérant que le prévenu reconnaît dans ses écritures que la SA « A. » paie pour le compte de tous ses franchisés et négocie avec les fournisseurs des commissions qui sont fonction du chiffre d'affaires qui va être réalisé, mais soutient que lesdites commissions sont la contrepartie de la garantie qu'ont les fournisseurs référencés d'avoir des commandes importantes et d'être payés intégralement et rapidement, et qu'elles n'ont pas le caractère de remises, puisqu'il n'y a ni vente ni factures entre les fabricants et le franchiseur ;
Mais considérant, sur ce point, que la SA « A. », en payant pour le compte des franchisés, se comporte comme leur mandataire ; que si elle négocie et perçoit seule les prétendues commissions, celles-ci sont directement proportionnelles au chiffre d'affaires réalisé par tel ou tel fournisseur, c'est-à-dire au montant total des commandes qui lui sont faites par les franchisés ; que lesdites « commissions », qui apparaissent d'ailleurs dans les factures adressées par la SA A. aux fournisseurs sous la rubrique « commissions montures », ont donc bien le caractère de remises ; que les contreparties offertes par le franchiseur aux fabricants (volume des affaires, garantie de paiement) expliquent les taux élevés de ces remises (10 à 25 %), mais ne sauraient en modifier la nature dès lors que le principe et le taux de ces remises est acquis et leur montant chiffrable ;
Considérant qu'A. fait également valoir que ces prétendues commissions lui sont acquises et qu'il n'a aucune obligation de les reverser à ses franchisés, ceux-ci étant libres de négocier directement avec les fournisseurs et d'obtenir des délais de paiement ; qu'à cet égard, il ne manque pas de se contredire puisqu'il reconnaît qu'il paie mensuellement le montant intégral de l'ensemble des factures fournisseurs pour le compte des franchisés et assure que les « commissions » qu'il perçoit sont précisément la contrepartie de ce service ;
que sur le premier point, on voit mal comment les opticiens à l'enseigne A. pourraient obtenir individuellement des remises qui s'ajouteraient à celles, déjà très importantes que négocie le franchiseur ; qu'il s'avère impossible, en outre que les franchisés obtiennent des remises qui viendraient se substituer à celles que perçoit le franchiseur puisqu'il est précisé dans le contrat de franchise à l'article 7, que le franchisé s'oblige à recourir obligatoirement à cette centrale de paiement, à ne passer de commandes de montures qu'aux fournisseurs référencés et à payer toutes les sommes dues au franchiseur pour le règlement des commandes passées auprès des fournisseurs par lettre de change relevé (LCR), sans autre avis que le relevé mensuel qui lui est transmis, ce qui montre bien que les franchisés n'ont aucune possibilité de négocier avec les fournisseurs ;
Considérant que le prévenu reconnaît que, bien qu'il n'y soit pas tenu, il rétrocède à ses franchisés une partie des « commissions » que lui versent les fournisseurs, sans faire mention que la répartition se fait en fonction de deux apports calculés mensuellement :
1° achats de chaque franchisé chez un fournisseur par rapport aux achats de tous les franchisés chez ce même fournisseur (rapport A/B) ;
2° chiffre d'affaires total de chaque franchisé par rapport au chiffre d'affaires total de tous les franchisés (rapport C/D) ;
Qu'A. a, en outre, précisé à l'audience que ce mode de calcul lui permettait de récompenser le dynamisme commercial des franchisés et de favoriser ceux qui ont ouvert plusieurs magasins à l'enseigne A. ;
Qu'il résulte clairement du système ci-dessus décrit qu'une partie des sommes réservées aux franchisés est directement proportionnelle au montant des achats effectués par chaque franchisé auprès de chaque fournisseur et que ce montant est prédominant dans le calcul des sommes reversées puisque chaque franchisé bénéficie d'un bonus si le rapport A/B est supérieur au rapport C/D ; qu'en outre les reversions consenties par le franchiseur aux franchisés sont clairement identifiées comme des remises sur monture puisque, dans la facture mensuelle adressée par le premier aux seconds, apparaît bien la rubrique « revenus montures » avec l'indication du mois et de l'année auxquels se rapportent les « commissions du mois » ;
Considérant qu'il est donc démontré que chaque franchisé perçoit systématiquement (puisque le calcul du rapport A/B et C/D est fait mensuellement) un pourcentage des remises consenties par le fournisseur au franchiseur, taux qui est pour partie, directement proportionnel au montant des commandes de montures qu'il a passées au fabricant ; que les franchisés, s'ils ne connaissent pas à l'avance le montant exact de ces revenions ont en tous cas la certitude de les percevoir et que lesdites reversions sont évaluées selon un mode de calcul invariable, le seul élément aléatoire étant le montant des frais de la centrale de paiement, qui sont déduits des remises rétrocédées par le franchiseur ; que les montures des lunettes vendues dans les boutiques à l'enseigne A. (y compris dans les magasins gérés directement par la SA « Les Boutiques A. », puisque cette société est elle-même franchisée) ne sont jamais vendues au prix coûtant ou au prix fournisseur puisque celui-ci devrait, en toute logique, inclure les remises rétrocédées aux franchisés par la SA « A. » ;
Considérant que si les franchisés ne peuvent calculer le véritable prix coûtant au moment où ils vendent les montures à leurs clients puisqu'ils ne connaissent pas encore le montant des remises qui leur sont rétrocédées quelques mois plus tard, il n'en demeure pas moins que le franchiseur, en fondant la publicité du groupe A. sur la notion de vente de montures à prix coûtant alors qu'il a lui-même conçu et organisé un système qui permet aux franchisés de percevoir des remises qui ne sont pas déduites de ce prétendu prix coûtant, donne aux consommateurs des indications fausses sur les prix et conditions de vente des montures qui font l'objet de la publicité ;
Que le prévenu en tant que président du Conseil d'administration de la SA A., le franchiseur qui conçoit toutes les campagnes publicitaires du groupe est personnellement responsable de l'infraction visée à la prévention ;
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité d'A. que sur la peine d'amende prononcée à son encontre laquelle est équitable ;
Considérant qu'il convient d'ordonner la cessation de la publicité fondée sur la notion de vente de monture « à prix coûtant » ou « à tarif fournisseur » ; qu'il n'y a pas lieu en revanche, s'agissant d'une première infraction, d'ordonner la publication de la présente décision par voie de presse, la cessation de la publicité litigieuse étant de nature à protéger les consommateurs sans obérer la situation économique des franchisés... »

[CA Paris, 13è Ch., Sect. B, 14 mai 1993, A. c/ Ministère public et autres.]

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