FRJP0065
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Démarchage à domicile: Vente à crédit

Vente de cuisines intégrées à crédit par démarchage à domicile.

« Sur l'action publique
Attendu que par ordonnance de l'un des juges d'instruction de ce siège en date du 9 octobre 1991, B. Jean Michel et A. Philippe ont été renvoyés devant ce Tribunal sous la prévention :
d'avoir à Chasseneuil du Poitou et Poitiers, entre le 1er novembre 1988 et le 31 janvier 1989, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, en qualité de gérant de la SARL P. pour B. Jean Michel et de directeur commercial de cette société pour A. Philippe,
1) reçu des paiements de la part des acheteurs énumérés ci-après, alors que les contrats entre la société et ceux-ci n'étaient pas définitivement conclus et qu'à ces contrats étaient liées des opérations de crédit (suivent les noms de 25 acheteurs) ;
2) omis de remettre en double exemplaire une offre préalable aux emprunteurs énumérés ci-après dans le cadre d'opérations de crédit (suivent les noms de 4 acheteurs) ;
3) omis de mentionner sur l'offre préalable de crédit l'une des mentions obligatoires, en l'espèce les modalités du contrat, le coût total du crédit, le coût de la location en pourcentage, le prix de vente final ou la durée de la location, sur les contrats passés avec les emprunteurs suivants (suivent les noms de 58 acheteurs) ;
4) ayant pratiqué ou fait pratiquer le démarchage à domicile de personne physique pour proposer la vente ou la location vente de meubles de cuisine, exigé ou obtenu des clients énumérés ci-après, le versement d'un acompte avant l'expiration du délai de réflexion de sept jours (suivent les noms de 28 acheteurs) ;
5) omis de préciser sur les documents commerciaux la désignation et le prix de chacun des objets formant un ensemble d'ameublement, bien qu'ils puissent être vendus séparément et ceci dans 99 contrats de vente de cuisine passés avec (suivent les noms de 99 acheteurs) ;
Attendu que l'information et les débats ont permis d'établir les faits suivants :
A la suite de plaintes de plusieurs clients, la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a procédé le 2 février 1989, au contrôle du Siège poitevin de la société P. ayant pour objet la vente de meubles de cuisines ; Cette société, exploitée sous forme de SARL avait pour gérant M. Jean Michel B. et comme directeur commercial M. Philippe A., celui-ci ayant pris ses fonctions le 1.11.88 ;
A l'occasion de ce contrôle, et à l'issue de l'enquête qui allait suivre, l'administration allait retenir 8 catégories d'infractions à la charge des dirigeants sociaux :
1° Des infractions à la loi du 18.01.1978 relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le cadre de certaines opérations de crédit :
Trois infractions étaient ainsi relevées :
a) Il a été constaté que les vendeurs de la société percevaient des paiements alors que les contrats n'étaient pas encore définitivement conclus. En effet, dans le procès-verbal qu'elle a établi, l'administration a constaté que pour certains contrats de vente à crédit, ou de location vente, le vendeur avait perçu un paiement comptant avant l'expiration du délai de rétractation ;
b) L'administration a par ailleurs constaté que pour 4 acheteurs le vendeur avait omis de remettre un double exemplaire de l'offre préalable ;
c) Dans le même ordre d'idée, de nombreuses imprécisions ou omissions ont été relevées dans 58 contrats de vente examinés.
2° Des infractions à la loi du 22.12.1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile:
La plupart du temps, les vendeurs de la société P. percevaient un acompte lors du démarchage à domicile de leurs clients, sans attendre l'expiration du délai de réflexion de 7 jours. Cette pratique a été rétablie pour 28 clients, à la suite de vérifications systématiques opérées par les gendarmes sur commission rogatoire du juge d'instruction.
Il convient en outre de noter que dans un cas, le contrat a été antidaté pour faire échec au délai de réflexion.
3° Des infractions au décret du 14.03.86 qui prévoit l'obligation de préciser sur les documents commerciaux la désignation et le prix de chacun des objets formant un ensemble d'ameublement, bien qu'à puissent être vendus séparément :
En effet, l'enquête de la Direction de la concurrence a permis d'établir que sur 167 contrats examinés, et s'agissant de ventes d'ameublement, 99 ne comportaient pas la désignation et le prix de chaque élément composant un ensemble, alors que le prix doit figurer dès le moment où cet élément peut être vendu à part.
Attendu que M. B. soutient tout d'abord que l'article 24 de la loi du 10 janvier 1978 ( L. 115-30 du Code de la consommation) sanctionne le prêteur qui contrevient à certaines dispositions de ce texte et non spécifiquement les responsables de l'entreprise ;
Attendu cependant que dans les opérations de crédit conclues avec leur clientèle, il ne fait aucun doute que les représentants d'une société venderesse ou prestataire de service ont bien la qualité de prêteur dans le contrat qui les lie à l'acquéreur ; que cette exception doit par suite être rejetée ;
Attendu que M. B. soutient en second lieu que les poursuites pénales n'auraient pas dû être engagées contre lui, mais contre la société P., au motif que si de simples infractions ont été commises, elles ne l'ont pas été par lui personnellement, qui n'en a à aucun moment profité, mais par la société, alors que le principe de la responsabilité pénale des personnes morales est communément admis aujourd'hui ;
Mais attendu que s'il est vrai que l'on s'oriente vers une reconnaissance du principe d'une telle responsabilité, celle-ci ne peut dans l'immédiat se trouver substituée à celle des dirigeants sociaux que dans des situations précisément définies par un texte particulier ;
Qu'en ce qui concerne les infractions reprochées aux prévenus, aucune des dispositions pénales concernant les agissements qui leur sont imputés ne fait obstacle à la mise en oeuvre de poursuites nommément dirigées à leur encontre ;
Attendu que M. B. prétend par ailleurs que la plupart des faits poursuivis ne seraient pas pénalement répréhensibles en ce qui le concerne ;
1) A propos des 99 contraventions au décret du 14.03.86 sur le commerce du meuble :
Attendu que M. B. se fonde sur une circulaire interprétative prévoyant un dispositif informatif à l'intention des distributeurs, et sur une note de service du Directeur général de la DGCCRF demandant aux services extérieurs de surseoir aux contrôles chez ces derniers jusqu'à la mise en place définitive de ce dispositif, pour prétendre que le procès-verbal établi par l'administration serait inopportun et ne pourrait servir de base aux poursuites qui ont été engagées ;
Attendu qu'il y a lieu toutefois de rappeler qu'une circulaire, quels qu'en soient les termes et l'opportunité, ne saurait avoir pour effet de faire échec à l'application d'un texte de nature législative ou réglementaire, et par suite d'empêcher la constatation des infractions relevées sur le fondement de ce texte ;
2) A propos de l'infraction concernant la réception des paiements de la part de 25 acheteurs, alors que les contrats liés à des opérations de crédit n'étaient pas définitivement conclus :
Attendu que M. B. rappelle que depuis le 23 juin 1989, l'article 15 de la loi du 10.01.78 ( L. 311-27 du Code de la consommation) , plus favorable aux contrevenants que dans sa rédaction antérieure, et, par suite, d'application immédiate, permet désormais au vendeur ou au prestataire de service de percevoir avant la conclusion définitive du contrat un paiement comptant de l'acheteur, dès lors que celui-ci accepte de le régler ;
Attendu qu'il convient cependant de garder présente à l'esprit la finalité de la loi du 10.01.78, qui a été votée pour protéger le consommateur, et non le vendeur, en prévoyant des dispositions destinées à assurer une information de l'acheteur avant que celui-ci ne s'engage par contrat ; Attendu qu'il en résulte que si, désormais, le vendeur peut percevoir un acompte dès la signature du contrat, c'est à la double condition d'une part qu'il ait remis à l'acheteur un récépissé valant reçu et comportant la reproduction intégrale des dispositions de l'article 13 de la loi, d'autre part que l'acheteur ait eu connaissance de la possibilité pour lui de refuser le versement d'un acompte ; Attendu qu'il ressort en l'espèce des investigations auxquelles ont procédé les gendarmes que les acheteurs concernés ne se sont pas vu remettre le document visé ci-dessus, et n'ont pas été informés du caractère facultatif de l'acompte qu'il leur était demandé d'acquitter ;
Attendu dès lors que l'acompte a été payé en infraction aux dispositions de l'article 15 de la loi du 10.01.78 et que le délit sur ce point apparaît parfaitement constitué ;
3) En ce qui concerne l'infraction aux dispositions sur le démarchage a domicile :
Attendu que M. B. affirme qu'eu égard à la date des faits, seule serait susceptible de lui être appliquée la loi dans sa rédaction initiale de 1972, la rédaction actuelle instituant des dispositions plus sévères et ne pouvant donc avoir d'effet rétroactif ;
Attendu que M. B. fait remarquer que par a contrario des dispositions actuellement en vigueur, la loi relative au démarchage à domicile ne saurait lui être applicable dès lors que c'est a la demande des clients que les vendeurs se rendaient chez ces derniers ;
Attendu qu'il ressort des auditions des clients ayant contracté avec P. que nombre d'entre eux étaient contactés directement par la société P., en particulier par téléphone ; que ce mode de prospection permettait aux vendeurs d'obtenir un rendez-vous avec le client chez lequel ils se rendaient avec son accord ;
Attendu que l'initiative de la prise de contact revenait bien à la société P., de sorte que M. B. ne saurait soutenir que c'est à la demande des clients que les vendeurs se rendaient au domicile de ces derniers ;
Attendu que le texte dans sa rédaction initiale de 1972, applicable en l'espèce, soumettait à son application la vente de « marchandises ou objets quelconques », à l'exclusion de celle des immeubles ; que M. B. soutient que les cuisines, étant des immeubles par destination, ne sauraient être comprises parmi les biens pouvant donner lieu à l'application de la loi du 22.12.72 ;
Mais, attendu que les éléments de cuisine ne peuvent être considérés comme immeubles par destination qu'une fois installés, et donc affectés au service de l'immeuble auxquels ils sont destinés ; que jusqu'à leur installation, et notamment au moment de la conclusion du contrat, ils conservent la qualité de meubles ; qu'il y a donc lieu de considérer la loi sur le démarchage à domicile comme applicable à ces biens ;
Attendu que les exceptions soulevées par M. B. doivent en conséquence se trouver écartées ;
Attendu, sur le fond que la matérialité des faits est établie par les constatations auxquelles a procédé l'administration, ainsi que par les éléments de l'information et des débats ;
Attendu que M. B., qui participait activement à la vente, donnait des instructions précises à son équipe de vendeurs et a été l'interlocuteur privilégié de l'administration à l'occasion de l'enquête, doit être regardé comme pénalement responsable des infractions qui ont été constatées ; qu'il en est de même en ce qui concerne M. A., dont le niveau de rémunération et les fonctions d'autorité qui lui avaient été dévolues en ce qui concerne la direction et l'animation de l'équipe de vente, empêchent de le considérer comme étranger aux délits et contraventions relevés, dans la mesure où ces derniers sont étroitement liés à la politique commerciale de l'entreprise ;
Attendu qu'il convient donc de retenir les deux prévenus dans les liens de la prévention, tout en leur accordant le bénéfice des circonstances atténuantes.
Par ces motifs,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Déclare les prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés ;
Condamne... »

[TGI Poitiers 12 mars 1992, B. et A. c/ UFC et autres.]

Démarchage à domicile Vente Meubles
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